« Pour le philosophe, l’intérêt le plus grand de la mode réside dans ses anticipations ». Walter Benjamin.
Ce texte des Passages parisiens parmi d’autres, pour décrire le « toujours nouveau » de la mode, son besoin d’anticipations et de fantasmagories, son amour des petites différences, et son énergie onirique entre la vie et la mort . Et c’est dans ce passage virtuel imprimé au sol, sur la Coursive de140 mètres de la Cité de la Mode et du Design, que vous découvrez l’œuvre de Pascal Dombis : Text(e)-Fil(e)s.
Une expérience intense d’immersion totale dans ces milliers de textes concernant la mode. Grâce à ces lignes sélectionnées sur trois siècles, détachées, superposées, en petit ou en grand, lisibles ou illisibles, et toujours prises dans leurs immenses trames, la machine de la mode se déroule sous vos pas, avec ses rythmes et ses rêves. Un ruban sans fin, un « vêtement sans fin » (Barthes) peut-on lire en un éclair. Etrange sensation, ce miroir de lectures qui s’ouvre sur le miroir de la Seine, et se joue de ses grisés, de ses blancs et de ses échelles, dans la lumière d’ombre du jour et le tracé blanchi de la nuit.
Car dans ces lignes-tissus, démultipliées à l’infini grâce aux algorithmes de prolifération, chaque fragment, si minuscule fût-il, devient un microcosme de rêve. Celui d‘un temps éphémère qui se module toujours, dans l’artifice d’une fabrication du beau, qui « dénie la beauté » (Baudelaire). Et de Balzac à Gautier, Baudelaire, Proust, Morand, ou Barthes, dans toutes ces lignes flottantes, « les étoffes parlent une langue muette ». Libre à vous de flâner ou d’accélérer, de décrypter un fragment ou de vous perdre au loin dans l’infini du ruban. Ici le spectateur fait l’œuvre, à travers toutes les images-flux, entre réalité et fiction.
Aussi, comme dans tout le travail de Pascal Dombis, la répétition n’exclut ni l’excès ni l’aléatoire, ni même la démesure d’une vision plurielle. Je me souviens d’une autre installation imprimée au sol, « le passage » du Palais-Royal, et d’une exposition de ses tableaux-spirales qui flottent et bougent dans leur propre aura de lumière. Le Temps, toujours le temps. Non pas celui linéaire des chronologies, mais celui de l’art enroulé et déroulé sur lui-même. Si bien que cette esthétique des interstices du temps permet de créer ce Passage de la Mode, sa fascination et son être qui revient à chaque saison. Un temps toujours retrouvé et toujours altéré, qui finit par rythmer nos vies et dont le virtuel -sa conception, sa captation et sa mise en œuvre- est une immense métaphore. Car fixé au sol, il est tout à la fois instant et modulation fluide, devenir et toujours nouveau : l’image même de la mode en son « aptitude à saisir le divers » comme le voulait Segalen. Le divers d’une subjectivité plurielle faite de multiples strates, de passages et de mutations.
Walter Benjamin encore. Dans une variante de L’œuvre d’art à l’époque de la reproduction, il distingue deux modalités de la peinture : une peinture vers le haut, et une autre « qui reproduit le monde de sorte que l’homme puisse concrètement y marcher ». Tel est le Passage de la mode : on y marche, on y lit, on y rêve.
Christine Buci-Glucksmann.
2015