Pascal Dombis : Les peintures bien roulées de la computation, par Joseph Nechvatal

A l’heure du capitalisme tardif de la circulation des signes digitaux, on dirait que les œuvres générées par ordinateur de Pascal Dombis mettent à mal – ou s’agit-il peut-être d’un déplacement? – la rationalité moderne au profit d’une version numérique pervertie de quelque émergence désordonnée et non mathématique dont on aurait un souvenir des plus vagues, version qui serait désormais manipulée et préfigurée. C’est la réinventivité techno de cette émergence que Dombis réalise à travers sa manipulation d’hyper structures visuelles générées par ordinateur et qu’il synthétise dans des “peintures” numériques abstraites. Car c’est bien, à mes yeux, en deçà des frontières du spectacle de la peinture classique, que les fabriques branlantes et aventureuses de Dombis précipitent – presque par automatisme – une irrationalité visuelle sophistiquée par le truchement d’outils rationnels. A la manière exacte dont les groupes antédiluviens tentaient de s’en sortir avec leurs cosmos répétitif au moyen d’excès irrationnels, les simulations mises en branle numériquement par Dombis agissent de telle manière qu’elles font inexorablement évoluer le monde rationnel et géométrique vers une redécouverte post-structuraliste et perverse de sa propre nature fallacieuse. 

Par conséquent, l’œuvre hyper géométrique de Dombis nous invite à un processus proliférant de purge rationnelle par le moyen d’un excès de sur-rationnalité. Pour y parvenir, Dombis utilise un prototype élémentaire incurvé comme point de départ de sa computation afin de proposer un espace pictural d’une complexité inhumaine et qui soulève toute une série de questions liées aux réseaux, comme la complexité, la prolifération perpétuelle, l’amalgame et le chaos. En partant d’un élément de base singulier et simple (un segment isolé de courbe ou une portion minuscule d’arc de cercle) et en le reproduisant par ordinateur de façon frénétique, Dombis réalise une structure optique géo-techtonique d’une sophistication intense et dont la richesse des associations de sens est évidente. Dans cette matrice élastique s’engouffre une logique machiniste inexorable qui pointe vers une hyper irrationalité techno contemporaine, dont nous avons de plus en plus d’exemples dans tant d’aspects de nos vies à tous.

Ce processus irrationnel n’est pas sans ironie puisque l’utilisation que fait Dombis de l’ordinateur est des plus simples, des plus primaires, afin de traiter et de retraiter sans cesse l’élément géométrique courbe (les configurations géo techtoniques qui en résultent seraient infaisables à la main car elles sont faites de plusieurs millions d’éléments). Dombis va même jusqu’à voir dans sa manière de faire une sorte d’Arte Povera dans le cadre des nouvelles technologies. Sans état d’âme, Dombis utilise les hyper-structures obtenues avec frénésie pour créer un espace d’illusion qui se joue de l’ambiguïté entre la structure mathématique produite par l’ordinateur et son élucidation métaphorique sur une surface picturale. Ces élucidations font d’ailleurs disparaître le motif original dans le réseau dont il est pourtant à l’origine. Dombis met un terme à ce procédé hystérique au moment précis qui précède ce que Severo Sarduy a appelé le “black out”. Dans son livre Barroco, l’auteur développe l’idée selon laquelle une structure développée sans fin aboutit, confusément, à un fac-simile d’elle-même, d’un noir noir, atteignant ainsi son moment de “black out”.

Tant que les fabriques incurvées de Dombis pourront mathématiquement se multiplier et permuter, sans être pour le moins gênées par une contrainte rationnelle apparente (dépourvue de black out), il n’y a pas de raison de les empêcher ou, de façon implicite, que notre surrationalité ne puisse atteindre des capacités spectrales toujours plus grandes. C’est cela qui me réjouit : de voir ses simulacres incurvés se déployer jusqu’à réduire en poussière les anciens prétextes géométriques rationnels pour nous rapprocher, non pas de notre propre “vérité” géométrique (une vérité réduite en cendres depuis longtemps par le post-structuralisme), mais de la conscience désormais nue de notre propre âme coercitive surrationnelle débarrassée de tous les leurres non fantastiques, non proliférants, y compris celui de notre propre réalité non élastique. 

Joseph Nechvatal

2002

http://www.nechvatal.net

Traduction Didier Girard